une histoire de l'art des jardins,
et leurs créatrices
photo en cours
" Texte>>
introduction en cours d'écriture,
éric

Hildegarde de Bingen
" Hildegarde adorait marcher dans l' hortus conclusus du jardin clos de son Abbaye de Rupertsberg, à Bingen.
En ce matin de juin 1150, - la construction de l'Abbaye bénédictine se terminait -, elle venait d'écrire sur la Benoîte et ses remèdes, pour son livre Physica.
Sur les plantes, les animaux et les minéraux et leurs diverses vertus, elle voulait dans le livre voir et faire voir, guidée par ses observations du moment présent, et ses visions divines.
Dans son contexte dominé par les hommes, elle réussissait à amener son œuvre au féminin.
En marchant elle écrivait, en écrivant elle imaginait, se souvenait. Penser au tissage de l'écriture se disait-elle, à l'art de jardiner et de connaître les plantes pour la santé. Les discussions, partages et prières avec les autres religieuses lui étaient indissociables de sa pensée, de leurs pensées, et de ces mille façons d'être à juste titre femmes. Transportées de joie à l'idée de partager ces regards, elles aimaient ensemble ces mélanges de ce qu' elles pensaient et vivaient. Tant était à faire, pour s'épanouir, fleurir.
Hildegarde aimait ce nouvel hortus conclusus du culte marial, pour ses contenus symboliques et les apports spirituels de la nature. Son jardin symbolisait la Terre par un carré long, et la croix christique par deux allées le traversant, et une statue de la Vierge Marie. Marie, l'Ève du jardin et ses roses blanches.
Libre et créative, elle analysait, pensive, ces nouveaux prémices de jardin mystique du monastère médiéval qui allait plus volontiers vers des vérités divines, et à la fois s'imaginait une suite des réflexions.
Plus tard, Saint François d'Assise au XIII è siècle dans son Cantiques des Créatures parlait de la nature présente comme bienveillante envers l'homme. Et dès le XIV è siècle, l'art du jardin portait un regard plus sensible à la nature, par les apports de sciences nouvelles.
Le grand épeautre, les pommes et les châtaignes mûrissaient, elle cueillait du fenouil. Savante, compositrice, femmes de lettres, biographe, naturaliste, médecin, Hildegarde songeait au futur, s'imaginait d'autres femmes jardinières ou écrivaines.
Y aura-t-il plus de roses un jour qu'en ce siècle ?
Une femme écrirait-elle un jour un récit avec des fleurs et des personnages ?
Une poétesse et jardinière créerait-elle un jardin dédié à une couleur ?
Et le Fenouil d'Hildegarde. "
éric
Liens
Jardin médiéval : les très riches heures d'un jardinier >>
Arnaud Maurières, Eric Ossart « Les auteurs partent à la découverte des jardins médiévaux d'hier et d'aujourd'hui en France, en Italie, en Espagne, ou encore au Canada. Les différents types de jardins compris dans cette appellation sont explorés : le jardin des champs, le jardin mystique, le jardin des sens, le jardin gourmand ou ménager »
Les jardins de Sainte Hildegarde, "Fabriquant et transformateur des produits recommandés par Sainte Hildegarde de Bingen", santé, cosmétique, alimentation, librairie,..
Les plantes du jardin médiéval >>
Service éducatif des Jardins botaniques du Grand Nancy et de l’Université de Lorraine
Chez Hyperion Records : un extrait musical du chant liturgique composé par Hildegarde de Bingen,
un album en téléchargement.
Joséphine de Beauharnais
" Joséphine, en ce matin du 23 juin 1813, était heureuse. Elle avait aujourd'hui ses cinquante ans. « Ah, ce cher 23 juin.. », se blottissait-elle près de son élégant préféré, un Magnolia pourpre.
Ses fleurs parfumées lui évoquaient les boisés verdoyants de l'enfance aux Trois-Îlets en Martinique.

Quatorze ans, quatorze ! chuchota-t-elle en pensant à l'achat du château de la Malmaison, et depuis, ses deux cent plantes introduites en France pour la première fois, des Camélias, des Phlox, des Dahlias. Des Lilas et toi ma chère Hortense.
Des roses, elle les comptait parfois : deux cent cinquante variétés étaient prévues l'an prochain. Il y avait des gallica, damascena, centifolia ; de nombreuses botaniques. Le domaine abritait la plus grande collection de roses de son temps, avec d'autres jardins anglais.
Hortense et sa mère s'avançaient vers le jardin fleuriste pour un bouquet de la centfeuilles 'Rose Unique'.
Et venaient ces merveilleuses Roses moussues à fleurs simples et légères comme les tenues de soirées inséparables avec Thérésa.
Joséphine se rappelait ces élégances, les robes diaphanes et sensuelles, les immenses chapeaux fleuris, les cheveux frisés et courts. Et les parfums des salons de Juliette, Fortunée et Germaine, ses amies, toutes les quatre égéries et figures de la mode.
Dans ce grand domaine de la Malmaison au style anglais, elle avait souhaité un jardin atypique, celui des parfums de l'enfance, un lieu à soi sinueux et libre.
Ce siècle horticole et paysager mettait en scène, en ville ou à la campagne, un paysage, sans évocations artistiques, à composer avec masses végétales, boisés et prairies, végétaux exotiques.
L'Impératrice recevait jardiniers et horticulteurs écossais et anglais, ou Dupont le rosiériste français. La pépinière Lee et Kennedy d'Hammersmith à l'ouest de Londres, la meilleure et la première du monde, ainsi les jardins royaux de Kew Gardens, fournissaient les végétaux. Anne ou Pierre-Joseph peignait les roses.
Les progrès en biologie végétale et en hybridations enrichissaient l'orangerie chauffée.
« Ma première description de la culture des roses et leurs premières exposition en France, souriait-elle. Il y a trois ans. »
D'hypothèses en dialogues, de mots en histoire, à cheminer au jardin, main dans la main, elles écoutaient la musicalité des arbres, elles s'esquissaient les lendemains de l'art des jardins, les accords des couleurs, des proportions et textures.
La passion d'être auprès de ces femmes avait été aussi merveilleuse que celles des roses, celles du jardin, des pétales comme des pages un livre lieu de paix et de calme.
Et le Magnolia de Marie Josèphe Rose. "
éric
Liens
Parc et château de la Malmaison >>
Les roses de l'Impératrice >>
François Joyaux. Les roses de l'Impératrice : la rosomanie au temps de Joséphine.
Complexe. 2005. 190 p.
Anne Vallayer-Coster >>
"l’Impératrice n’hésita pas à faire appel à d’autres artistes à l’image d’Anne Vallayer-Coster" Musées Nationaux.
Une artiste peintre française majeure du XVIIIe siècle.
Portail national des Archives

Gertrude Jekyll
" Gertrude recevait hier les premiers exemplaires de son huitième livre Colour Schemes for the Flower Garden, les éditions Country Life étaient venues à la maison, à Munstead Wood, dans le Surrey. Et tous avaient visité son jardin et la pépinière, écouté ses couleurs et ses mots..
Et quelle paix ici ! Ce labeur aussi.
En ce matin d'août 1908, elle relisait la lettre passionnée d'Ellen Willmott, et lui répondait. « Oui ma bien chère Ellen, prenons un livre, et les mots et les couleurs, la subtilité ou nos expériences aiment ranimer nos créativités. » Elles s'écrivaient depuis onze ans, à rédiger un livre ou dessiner un jardin. Les lettres préservaient l'instant, le récit du présent. En 1897, les deux femmes avaient reçu pour sa première édition la Médaille Victoria des jardiniers.
Ces conversations partagées avaient renforcé leurs liens et le sentiment de se comprendre. Elles avaient de l'autre des phrases : « émotions de pensées », « sur une piste au jardin ». Un arbuste devenait une émotion, une combinaison de couleur au jardin. Émotion de pouvoir s'exprimer par le livre, d'être autre femme suivant la présence de telle ou telle amie avaient qui elles se tenaient.
« Il y a dix ans, tu t'apprêtais à publier ton premier livre Wood and Garden » écrivait Ellen, et l'an dernier Ellen avait reçu l'encouragement de Gertrude pour son livre en cours, The Genus Rosa. « Nous aurons la joie de voir les aquarelles en cours, continuait Gertrude. - Alfred Parsons illustrait à merveille les roses d'Ellen -. Nous viendrons Edwin et moi pour ton anniversaire à Warley. »
« Il y a une double bordure, concluait Gertrude avec un extrait, spécialement conçue pour le mois d'août. La palette de couleur présente un fond de feuillage gris, avec des fleurs roses, blanches, et violet clair et foncé. » Ellen allait adorer.. Tout était à créer .
Dès 1883, Gertrude développait son jardin de Munstead Wood, en face de Munstead Head où elle vivait avec sa mère. Elle aménageait une forêt mise en scène en jardin boisé, un potager fleuri, le jardin pépinière, .. Et la construction de la maison inspirée du bâti local traditionnel, devenait le premier fruit de projets d'art avec Edwin Luytens, architecte du mouvement Arts and Crafts. À deux ils allaient réaliser plus d'une centaine de jardins et maisons.
Gertrude allait écrire ses livres, dessiner quatre cent jardins dont Barrington Court, Le Bois des Moutiers, Hestercombe House, et un bon millier d'articles pour Country Life, ou The Garden and Gardenning Illutrated de William Robinson.
Paysagiste, jardinière, pépiniériste, botaniste, photographe, peintre, éditrice, Gertrude est influencée par son enfance et la nature, ses intuitions et son sens de l'observation. Ses réflexions portaient sur les couleurs, les proportions, les textures et les parfums.
« Le jardinage est comme un art. En pratique, il s'agit de placer chaque plante ou chaque groupe de plantes avec un soin réfléchi et une intention si précise qu'elles formeront une partie d'un tout harmonieux, et des portions successives ou dans certain cas même des détails isolés, présenteront une série d'image. » Colour Schemes for the Flower Garden.
Pendant près d'un siècle avant, une mode des parterres imposés et disgracieux s’était répandue, noyant la beauté spontanée des petits cottages fleuris, bloquant la créativité, négligeant les savoirs des jardiniers amateurs de sauvage et de cultivé, et proposant « un idéal si facile à atteindre et peu coûteux en efforts mentaux.»
Gertrude, dès son premier livre, proposait le retour à des parterres plus naturels, poétiques et créatifs, mais sans excès dans ces retours. « Et ce n'était pas la faute du Géranium ou de la Calcéolaire s'ils avaient été mal utilisés. » (Ou des Thuyas aujourd'hui..) Le Géranium restait un Géranium, un être de vie et « son sens du dessin. » Et elle continuait avec lui au jardin.
Ses éléments clés d'un jardin Arts and Crafts, à s'inspirer de la nature, étaient des petits lieux intimistes pour anticiper les surprises, des matériaux naturels comme le chêne ou la pierre locale. Les plantes soigneusement étudiées étaient anciennes ou sauvages, roses, arbustes et grimpantes, aux couleurs douces ; et le tout poussait librement à l'intérieur de bordures très étudiées.
Le jardin anglais prenait racine, avec ses haies d'Ifs en toile de fond, une symétrie et des arrondis, des perspectives et des axes pour inclure le jardin au paysage.
Le jardin devenait l'approche d'une conception plutôt que d'un style, à s'échapper souvent d'une définition qui n'était pas à imposer.
Cette après-midi, Gertrude allait continuer la relecture de son manuscrit Children and gardens. « Je me souviens bien de l'époque où je pensais qu'il y avait deux sortes de personnes dans le monde : les enfants et les adultes, et que le monde appartenait en réalité aux enfants. Et je pense que c'est parce que j'ai été plus ou moins jardinière toute ma vie que je me sens encore enfant à bien des égards. »
Ce soir avec William, ils allaient reprendre le sujet du jardin sauvage.
Et les Primevères de Gertrude. "
éric
Liens
"Une fusion Arts and Crafts du design architectural et du jardin, et la maison de l'une des jardinières les plus influentes au monde – Gertrude Jekyll." National Trust.
"the extraordinary life and gardens of a forgotten genius" Sandra Lawrence
The Wild garden, William Robinson >>
"Ainsi Florence André a-t-elle souhaité présenter l’évolution de la conception du Wild Garden exprimée par William Robinson au cours du temps et la relier à nos préoccupations actuelles."
Institut Européen des Jardins & Paysages.
Arts and Crafts en architecture >>
Institut royal des architectes britanniques
Colette
" Colette songeait à Sido, sa "très chère aînée" (1), sa maman, en cette matinée du 12 août 1949. Sa mère était née un 12 août.
"Dans le cœur, dans les lettres de ma mère, étaient lisibles l’amour, le respect des créatures vivantes. Je sais donc où situer la source de ma vocation…" (2). Colette relisait ses textes, des fleurs et ses jardins.

Dans sa relecture de femme écrivaine, des ces années auprès de femmes, il était question de la vie, de l'enfance et sa maison natale, du jardin, des mots et la justesse de leurs choix. Il était question de l'écriture et de ses sentiments, d' une sensualité forte et libre, des amours et amitiés. Et les fleurs des herbiers.
Par sa fenêtre du 9 rue de Beaujolais, au Palais-Royal (3), elle pensait aux choses qui s'effritaient ou ne bougeaient pas (4), regardait des passantes, essayait de deviner ce que ses amoureuses faisaient, notait des idées, puis pensait aux femmes gardes-barrières de ses voyages en train vers Le Crotoy, La Treille Muscate ou encore Saint Sauveur en Puisaye. « Les jardins des gardes-barrières nous arrachent toujours, au passage, un cri d'admiration et d'envie, à cause d'une mêlée de corolles, d'une prodigalité que les coûteuses plates-bandes peuvent jalouser. Le hasard comble-t-il, de préférence, les passages à niveau ? » relisait-elle dans son manuscrit En pays connu.
Elle plongeait jusque dans la phrase, puis le mot, pour se dire : le jardin c'est ici, celui de « nos petites cultivatrices » , l'amour, la fleur.
L'ouvrage allait sortir cet automne, des souvenirs, une jeunesse.
De l'enfance, elle revoyait les coquelicots, la violette. Elle avait préparé hier, près d'elle, des livrets de notes de 1908 lorsqu'elle avait trente-cinq ans, au Crotoy, avec Missy. (5)
« Enchantée encore de mon rêve, je m’étonne d’avoir changé, d’avoir vieilli pendant que je rêvais… D’un pinceau ému je pourrais repeindre, sur ce visage-ci, celui d’une fraîche enfant roussie de soleil…» y avait-elle écrit pour Les vrilles de la vigne.
« Je revois une enfant silencieuse que le printemps enchantait d'un bonheur sauvage, d'une triste et mystérieuse joie.. » lisait-elle, et les fleurs blanches et bleues, ou veiné de nacre mauve. Elle voyait les douceurs du jardin d'en bas de Saint Sauveur, les premiers bouquets de violettes, la grille à escalader pour aller voir les fleurs ou les fruits. « Ô violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi, toutes, vous treillagez le ciel laiteux d'avril, et la palpitation de vos petits visages innombrables m’enivre. ».
L'été, ses coquelicots des blés semblaient avoir caché les mots de l'écriture dans leurs fruits secs ressemblant à des poivrières. Et semer des fleurs en revenant.. Il fallait rentrer chers narcisse et myosotis, chères menthe et cornuelle (6).
Elle rouvrait ses yeux, écoutait les passantes décrire les roses jaunes du Palais-Royal, ces « vieux rosiers prodigieux ».
Et lui venait ce délice de relire dans Pour un herbier, écrit il y deux ans, « Vous êtes presque aussi belles que les roses torrentielles qui comblent un tout petit enclos de garde-barrière, couvrent une maisonnette de jardinier.. »
Ah chers jardins.. souriait-elle. Au jardin de La Treille Muscate, elle écrivait dans Sido paru en 1930, sur le jardin de Saint Sauveur :
« Mon imagination, mon orgueil enfantin situaient notre maison au centre d’une rose de jardins, de vents, de rayons, dont aucun secteur n’échappait tout à fait à l’influence de ma mère. »
Le jardin aimait-il à nous retracer quelque chose ? La mémoire, un manque, une source, une présence, la vie enfant parmi « des arbres et des livres ».. ? Un « génie du lieu », donnait-elle la singularité de ses étapes et lieux de vie, dans Trois... Six... Neuf...
Et ces années d ’écriture rattrapaient elles ce lieu perdu, ces charmes du passé ? Le jardin était-il nostalgie ? Elle songeait à la jardinière qui plantait l'arbre en pensant à l'avenir, à l'espoir, au sens de sa présence.
Ce jardin de La Treille, à Saint-Tropez (7), de 1926 à 1938, la nourrissait de bonheur renouvelé, par la mer lumineuse et colorée. Une sensualité pour écrire mille mots..
Les pensées de Colette se mêlaient aux chants des merles de la rue, à d'autres lieux, d'autres mots. Elle se souvenait : « Je me souviens de moi avec une netteté, une mélancolie qui ne m’abusent point. Le même cœur obscur et pudique, le même goût passionné pour tout ce qui respire à l’air libre et loin de l’homme – arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles -, la même gravité vite muée en exaltation sans cause… Tout cela, c’est moi enfant et moi à présent… » Et ces parties d'un jardin et de nature qui étaient plus libres et vraies, les moins surveillés, avaient ce plus spontané, ce poétique..
La rose jaune de la rue lui évoquait sa phrase « Pour le prestige de notre jardin, fallait-il davantage qu’un chèvrefeuille centenaire et infatigable, que la glycine en cascatelles et le rosier cuisse-de-nymphe ? » Flore et Pomone, écrit ici, il y six ans. (8)
« […] Rose, toi que j’appelle en secret Péché pourpre, Abricotine, Neige, Fée, Beauté noire, toi qui soutiens glorieusement l’hommage d’un nom bien païen : la Cuisse-de-nymphe-émue ! » Pour un herbier.
Le jardin et ses mots aimaient être libres.. "Être libre ! … Je parle tout haut pour que ce beau mot décoloré reprenne sa vie, son vol, son vert reflet d'aile sauvage et de forêt. " L'Entrave.
Les mots par la fenêtre disaient le parfum, le toucher, le goût. Des sensualités..
« [...] je n’ai de goût que pour les sources sauvages, gardées par l’œil ouvert des myosotis et des cardamines [...] » Flore et Pomone.
« Nous ne regardons, nous ne regarderons jamais assez, jamais assez juste, jamais assez passionnément. » Paris de ma fenêtre.
La mémoire et la perception faisaient vibrer ma sensibilité se disait-elle, la surface de ma peau et de mes chuchotements et moments d'être soi. Il y avait entre le jardin et l'écriture ce lien de la recherche du précis, et ce jardinage de soi-même, ces quêtes. Des parfums. Et s'asseoir pour le mot et la signification d'être là. Jardiner avec les mots.
« Je n’ai plus la maison ; la cinquantaine est loin… Il me reste l’avidité. C’est la seule force qui ne se fasse humble avec le temps. » écrivait-elle dans Le Fanal bleu.
Fallait-il annoncer au jardin que la jardinière partait.. ? Écrire les mots pour avancer ?
Oui, et la chambre de travail regardait le sud, et « […] une vie nouvelle, le soleil qui marquera sur le mur un chemin nouveau, des sons nouveaux au lever du jour […] » souriait-elle à relire dans Trois… Six… Neuf…
De l'amour, « […] que demeure-t-il, à le raconter, d’un attachement passionné […] ? Bella Vista.
Et la mémoire de l'odeur du bouquet de violettes de Claudine, de Colette. "
éric
Notes
1 ↑ La naissance du jour, 1928.
2 ↑ La naissance du jour, 1928.
3 ↑ En janvier 1938, Colette s'installe au 9 rue de Beaujolais, au premier étage
4 ↑ « J’aime à penser qu’un sortilège conserve, au Palais-Royal, tout ce qui périclite et dure,
ce qui s’effrite et ne bouge pas. » Trois… Six… Neuf…, 1944.
5 ↑ Mathilde de Morny, dite Missy, de 1906 à 1910, Colette et Missy vont venir au Crotoy,
à la « Villa des Dunes » et la villa « Belle plage ».
Les lieux vont inspirer Vrilles de la vigne, 1908.
6 ↑ La Cornuelle est le nom local bourguignon pour la Mâcre nageante, ou Châtaigne d'eau,
Trapa natens, dont les feuilles ont la forme de la spécialité pâtissière du centre-ouest
de la France, et ont une saveur légèrement sucrée. Colette la décrit dans Le Fanal bleu.
7 ↑ La Treille Muscate. En 1926, Colette a revendu Rozven, entre Saint-Malo et Cancale, que Missy avait acheté en 1910. Séduite par la Provence et la mer, elle achète la maison, route des Cannebiers, dans le Saint-Tropez d'avant le tourisme. Elle y écrit avec bonheur.
8 ↑ Flore et Pomone : et la botanique poétique de Colette : « Lire dit-elle » >>
Liens
"Un des chefs d’œuvre méconnus de Colette [...]. Avec Pour un herbier, c’est sans doute un des plus beaux textes de Colette consacré aux fleurs et aux jardins." Société des amis de Colette.
Colette, affirmer sa liberté >>
4 épisodes radiophoniques de La compagnie des œuvres,
sur France Culture, par Matthieu Garrigou- Lagrange.
10 épisodes radiophoniques des Nuits de France Culture, par Albane Penaranda.

Virginia Woolf
" Virginia écrivait ce lundi 14 septembre 1925, à dix heures du matin, et le soleil brillait sans désemparer sur la table. « Les feuilles de la vigne sont d'un vert translucide, et celles du pommier si brillantes […] que j'ai inventé une histoire sur un homme qui, les comparant à des diamants, et les toiles d'araignées […] à je ne sais plus quoi, en vint à écrire un poème je crois.. »
Infiniment positive, méthodique, avec courage elle décortiquait les émotions, écrivait sur son roman To the Light House. « […] je crois que je pourrais débiter mon histoire avec un plaisir infini » - elle relisait ses notes du 05 septembre. « Aller toujours de l'avant, voilà mon principe pour vivre […] » écrivait-elle dans ses notes du 28 juillet 1923 pendant qu'elle écrivait Mrs Dalloway. (1)
Le roman était sorti ce 14 mai 1925.
Ce soir elle allait à Lewes avec sa sœur Nessa (2) choisir des laines pour les points de croix de sa tapisserie de chaise. Des motifs que Nessa dessinait, des feuilles, des couleurs. Et le souvenir des deux fillettes jadis sous l'immensité et le mystère de la table des parents à jouer au navire sur un océan, et « la conscience vague que l'autre offrait d'intéressantes possibilités. »
Virginia regardait par la fenêtre les belles vues sur les paysages des South Downs (3), le jardin de Monk's House (4) à Rodmell, dessiné avec Leonard, son mari. Il était à Londres aujourd'hui, pour la Hogarth Press. (5) Le verger offrait variétés de pommes, poires, coings, prunes et nèfles. Et des mots du jardin pour écrire. J'adore les digressions se disait-elle, ces histoires dans les histoires, ces mots dans le jardin et son paysage, le jardin dans le mot. Écrire était le vrai plaisir, alors qu'être lue..
Un vent parfumé du verger, et ses pensées partaient vers l'enfance à Saint Yves dans les Cornouailles, Mère, Père et toutes ces choses à écrire ici dans To the Light House. Mais il fallait attendre un peu pour trouver les mots, peut-être entre le thé et le dîner.
Et laisser le jardin et la campagne l'aider à mettre l'action des personnages et des lieux au second plan, afin d'avantager la multitude des sentiments des heures de la journée.
Oui cela devait être.. Non pas l'objet observé… mais… le regard de Mrs Ramsay, sa narratrice, sur les choses autour.
S'écouter penser ! Écouter le jardin. Lui aussi œuvre de l'éphémère entre la nature et l'homme, désir illusoire d'arrêter le temps..
Et comme nos pensées s'orientent aisément vers la pression acharnée de chaque mot, vers autre chose, se disait-elle. « À quoi en étais-je déjà ? » Des parfums ? Ah oui, mon amie Ka, le verger et ses fruits,... Et Ka (6) m'avait écrit il y a deux ans qu'elle n'aimait pas Dans le verger (7), se disait-elle. La réponse de Virginia avait alors été : « Elle me fait sentir que même sans éloges je me satisferai de continuer. »
Ce matin Virginia riait, et pensait à Miranda.. Le parfum d'un jardin, les rires avec elle. « Miranda dormait dans le jardin, étendue sur une chaise longue sous le pommier. Son livre avait glissé dans l'herbe, et son doigt semblait encore pointé vers la phrase : « Ce pays est vraiment un des coins du monde où le rire des filles éclate le mieux … » » Dans le verger.
Elle imaginait aussi Clarissa Dalloway sentir les douceurs de ce jardin.
Et pour Leonard elle écrivit : « Et alors je suis allée me blottir au plus profond de ma vie, c'est-à-dire à cette entière confiance qui existe entre L. et moi, et là j'ai trouvé toutes choses si satisfaisantes et paisibles que j'ai repris vie et pu prendre un nouveau départ, me sentant complètement protégée. La prodigieuse réussite de notre vie est bien cachée aux regards ou plutôt elle réside dans des choses si ordinaires que rien ne peut l'atteindre. »
Un repas, et était venu le moment de partir en promenade. Quelle journée idéale pour aller au sommet d'Asheham, ces collines crayeuses qu'elle préférait aux gens, comme celle de Brighton. Elle y trouverait des champignons, et verrait de là-haut « le jardin avec les serres et leurs toisons de lierre, un endroit ravissant, vaste et dégagé ».
Elle traversait le jardin de cottage et ses allées de briques bordées de vivaces, de pelouses et de grimpantes le long des murs de silex.
Un jardin de son temps avec ses chambres aux formes irrégulières, une abondance de couleurs et de textures, il s'inspirait de la campagne, offrait des teintes douces et légères, soulignait la plante.
En ce mois de septembre les filles du vent, les Anémones du Japon blanches et roses, fleurissaient avec les Roses rugosa et les herbes légères, et Leonard avait planté des Roses moschata, premières créations de la jeune Ann Bentall (8) de la pépinière Pemberton. Il y avait des Phlox et des Pois de Senteur, des Hortensias et des Œillets. Une passion, une seconde nature, un art de vivre le jardin, de l'amour.
Virginia aimait la sensualité et la quiétude des lieux qui l’aidaient à trouver le mot juste. En ouvrant le portail, elle songeait à l'Anémone et ses symboles, la persévérance, l'affection, la confiance, et ne pas se laisser dérouter par les écarts de la vie.
Les Colchiques dans la pelouse lui rappelaient sa mère.
En chemin ! « Quant au moyen de se ramener à l'écriture, le voici : premièrement, exercice modéré au grand air. Deuxièmement, lecture de bons livres. »
Le temps nacré et diapré sur le marais la ramenait dans son amour. « Je suis extrêmement heureuse quand je me promène dans les Downs. J'aime avoir de l'espace pour déployer mon esprit. Quelles que soient mes pensées, je peux les communiquer tout à coup à Leonard. Nous sommes très détachés, libres et harmonieux. »
Autour d'un programme tout réfléchi de travail et de promenade, elle avait écrit, à Londres, une courte histoire avant leur arrivée le 05 août à Monk's House, et avait attendu, presque par superstition, de reprendre ici les mots de To the light house.
Après le marais et l'eau, elle grimpait vers la colline d'Asheham et le vent. Les moissons dorées, les reliefs aux reflets saphir et des nuages velours blanc lui évoquaient une peinture de Jacques (9) et les mots de leurs lettres (10). « Il m'avait écrit au sujet de Mrs Dalloway une lettre à laquelle je dois un des plus beaux jours de ma vie. »
Des Campanules et Marjolaines sur le chemin, et Virginia imaginait Clarissa Dalloway « légère, grande, droite », si élégante à son habitude, parfumée comme des Lys et des Roses, choisir ses fleurs avec Miss Pym la fleuriste de chez Mulberry's, Bond Street, à Londres.
Virginia en grimpant était toute échauffée, le nez tourné vers la maison, « les muscles las et le cerveau tout imprégné de douce lavande, […] prête enfin pour la tâche du lendemain. »
Tout en arrivant, elle construisait en pensées To the light house, elle y entendait le bruit de la mer, et pensait à un nouveau mot pour
« roman ». Quoi ? Une élégie ? L'après-midi ensoleillée et le ciel bleu ne manquaient pas de rappeler ces souvenirs de l'enfance à Saint Yves.
Arrivée, elle s'imprégnait des lieux, ne perdait pas le contact avec les émotions et la réalité, celle du paysage, du jardin, des amis à Londres, des équilibres des personnages. Son ami Lytton (11) n'aimait pas Mrs Dalloway, mais trouvait l’œuvre génie. Avec lui, elle aimait retrouvait cette ardeur naturelle en elle pour le travail. Avec d'autres amis elle parlait amitiés, avec d'autres d'amour, de jardin ou d'art, des gens.
Et ses amis lisaient Mrs D. Elle s'imaginait Lytton, Clyve, Nessa, Roger ou Morgan.
La cloche de St Peters sonnait maintenant trois heures.. Il fallait rentrer. Leonard était peut-être revenu à œuvrer au jardin.
Rentrée, il lui fallait appliquer la résolution d'un travail méthodique et jamais à contrecœur. Et observer inlassablement, observer les signes avant-coureurs et les mots, les scènes familières et les phrases. Des deux mois prévus à Monk's, - il en restait un - et To the light house avançait bien. Quelle journée agréable se disait-elle encore.
Elle songeait à sa chère amie Margaret (12), leurs discussions sur les narratrices, des liens avec des êtres réels ou la capacité à créer ces êtres dans un livre.
Les Saules du jardin étaient comme un nuage jaune duveteux, « une sorte d'embruns d'une extrême finesse ; avec un je-ne-sais-quoi évoquant l'averse ». Elle fermait les yeux un instant, voyait le jardin comme un lieu du quotidien et une création de la poésie.
Elle traversait le petit jardin italien pour se laisser envelopper par les Saules, les Cyprès, le Chêne vert et le Pin. L'eau rythmait la sensation d'une œuvre commune avec la nature. Leonard et Virginia avaient dessiné ce jardin, inspirés de voyages en Italie, sensibles à la beauté mystérieuse de scènes tels des personnages qui rendaient silencieux et nourrissaient les émotions de pensées. Et les vagues de St Yves...
Les vieux jardins italiens lui semblaient visibles et impalpables, méticuleux et légers, délicats comme le vent dans le Pin, abrités du temps. Abritaient-ils des instants précis de vie de personnages d'antan et de maintenant, leurs songes ou désirs, colorés par ces chants des Fauvettes dans un vieux Cyprès ?
Un Merle chantait sur le vieux Romarin, et ce soir le petit jardin de Leonard allait-il chercher des mots avec le paysage, à la façon qu'il fallait chercher la vraie Virginia dans les livres.. Oui, elle était là, souriait.
Elle longeait les Saules, et le bruissement des feuilles était une eau claire. Paisible, elle allait écrire dans son journal cette beauté qui l'envahissait. Une plante aquatique frémissait dans l'eau, cette image serait à reprendre plus tard en écriture..
Suite en cours,
éric
Présentation du texte
« […] pour découvrir ce que j'appelle mon « procédé de sape » qui me permet de raconter le passé par tranches quand cela m'est nécessaire. C’est ma découverte la plus importante jusqu'ici, […] » Journal du 15 octobre 1923 à Regent's Park.
Mon texte sur Virginia s'est construit autour de cette phrase, en est un clin d’œil.
Et la lecture de cinq années de son journal (1921-1925), condensées en une journée, celle du 15 septembre 1925, m'a permis à nouveau d'être près d'elle et de son œuvre.
Le texte met en avant la femme profondément positive et courageuse qu'elle est, et dont l'écriture est une solution pour lutter contre les difficultés de la vie.
Il s'inspire également d'une des façons d'écrire de Virginia, mettre l’action au second plan afin de favoriser l'infinité des sentiments d'une narratrice, Clarissa Dalloway par exemple, le long des heures de la journée..
Et les mots des romans, essais et journaux de Virginia, choisis au plus profond de leurs sens - et les sourires à lire son humour si singulier -, m'ont aidé à décrire le jardin de Monk's House, à étudier une histoire de l'art des jardins.
éric
Notes
1 ↑ Mrs Dalloway parut le 14 mai 1925 à la Hogarth Press.
2 ↑ La sœur de Virginia, Vanessa Bell >>
3 ↑ Les paysages du Parc National des South Downs >>
4 ↑ Le jardin à Monk's house >>
5 ↑ L'imprimerie, Hogarth Press >>
6 ↑ Ka(Katharine)Laird Arnold Forster, première femme magistrate des Cornouailles, avait écrit à Virginia le 17 juin 1923.
La jardinière Polly Carter >> décrit son projet de restauration du jardin de St Ives où Virginia a passé les étés de son enfance.
7 ↑ « Dans le verger » est "une nouvelle écrite par Virginia Woolf et publiée dans le Criterion en avril 1923. Bien qu'elle ne soit pas son œuvre la plus connue, « Dans le verger » illustre parfaitement l'évolution de certaines pratiques d'écriture modernistes dans son œuvre."
8 ↑ Ann Bentall >> rosiériste, obtentrice et jardinière anglaise.
9 ↑ Jacques Raverat, peintre et dessinateur français, marié avec Gwen Darwin >> peintre et graveuse sur bois anglaise, petite-fille de Charles Darwin. Les époux ont participé au Bloomsbury Group.
10 ↑ Les lettres de Jacques et Virginia, "Virginia Woolf & the Raverats: A Different Sort of Friendship" William Pryor, petit-fils de Jacques Raverat : Jane Austen Books >>
12 ↑ Margaret Llewelyn Davies, ancienne et fidèle amie des Woolf. Elle venait d'aménager à Hamstead.
Liens
"Monk’s House is home to a beautiful English country garden designed by Leonard Woolf, surrounded by incredible views of the Sussex Downs" National Trust
La traversée des apparences, Virginia Woolf >>
5 épisodes radiophoniques de "Les Grandes Traversées" de France Culture,
par Simonetta Greggio (production)et Julie Beressi (réalisation)
"Tiens-toi droit ma biquette"..
Avoir raison avec Virginia Woolf >>
5 épisodes radiophoniques de "Avoir raison avec.." de France Culture,
par Geneviève Brisac >>, "Cinq moments consacrés à faire entendre une autre Virginia Woolf : une pensée pour aujourd’hui, vivante, insolente, combattante. Joueuse."
Les 5 épisodes consacrés à Virginia Woolf sont les suivants :
-
Woolf cosmopolite et traductrice, et polyglotte, avec Agnès Desarthe >>
-
Woolf chantre de l’amitié, épistolière hors pair, avec Florence Seyvos
-
Woolf défenseuse des animaux et de l’art de la biographie, avec Catherine Bernard
-
Woolf, férue de psychanalyse, lectrice de Freud, avec Josiane Paccaud et Jacques Aubert
-
Woolf, enfin, réfléchissant à la guerre qui vient, avec Sabine Prokhoris
La jardinière Polly Carter décrit son projet de restauration
du jardin de St Ives où Virginia passé les étés de son enfance.
« Je ne veux pas être “célèbre” ni “grande”. Je veux aller de l’avant,
changer, ouvrir mon esprit et mes yeux, refuser d’être étiquetée et stéréotypée.
Ce qui compte c’est se libérer soi-même, découvrir ses propres dimensions, refuser les entraves. »
Virginia Woolf
Vita Sackville-West
texte et liens | site en construction


Maria Hofker
texte et liens | site en construction
Nicole de Vésian
texte et liens | site en construction


Princesse Greta Strudza
texte et liens | site en construction
Beth Chatto
texte et liens | site en construction


Ann Bentall
texte et liens | site en construction
texte de l'Antiquité à aujourd'hui
texte conclusion
éric